Vis, sois innombrable à force de désirs

Vis, sois innombrable à force de désirs

poème le temps de vivre

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai un tiroir secret dans lequel je mets toutes les petites choses auxquelles je tiens. En bonne fétichiste qui se respecte je garde tout ce qui est sentimentalement important pour moi, ça va de la mèche de cheveux de naissance aux petits mots doux de ma famille. Hier, sans rien chercher de précis j’ai eu  envie de fureter dans ce bazar et c’est ainsi que je suis tombée sur cette feuille jaunie, pliée en quatre, sur laquelle était écrit à la main (pas la mienne) ce merveilleux poème oublié là depuis je ne sais combien d’années. Qui me l’a donné et pourquoi ? Je ne sais plus mais je l’ai trouvé tellement beau et il correspond tellement à mon état d’esprit actuel que j’ai voulu le partager avec vous.

Le temps de vivre

Déjà la vie ardente incline vers le soir,
Respire ta jeunesse,
Le temps est court qui va de la vigne au pressoir,
De l’aube au jour qui baisse,

Garde ton âme ouverte aux parfums d’alentour,
Aux mouvements de l’onde,
Aime l’effort, l’espoir, l’orgueil, aime l’amour,
C’est la chose profonde ;

Combien s’en sont allés de tous les cœurs vivants
Au séjour solitaire
Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre,

Combien s’en sont allés qui ce soir sont pareils
Aux racines des ronces,
Et qui n’ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s’enfonce.

Ils n’ont pas répandu les essences et l’or
Dont leurs mains étaient pleines,
Les voici maintenant dans cette ombre où l’on dort
Sans rêve et sans haleine ;

— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs
De frissons et d’extase,
Penche sur les chemins où l’homme doit servir
Ton âme comme un vase,

Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein
La vie âpre et farouche ;
Que la joie et l’amour chantent comme un essaim
D’abeilles sur ta bouche.

Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle.

Anna de Noailles (1876-1933)

Tiré du recueil : Le cœur innombrable (1901)

Pas mal non? Bon dimanche !

Notre grignoteuse de livres au grand coeur !

3 COMMENTAIRES

  1. tres beau poème en tout les cas c’est quelqu’un qui te connaissait bien non !!!
    je suis comme toi je garde je garde mais pas tout au même endroit par ex j’ai un dessin de ma petite derniere dans un des tiroirs de ma cuisine en corse et de temps en temps je tombe dessus et j’adore
    bon dimanche biz